Marie Thérèse et son monument
Ce que racontent les pierres
Qui choisir ?
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’empereur François-Joseph Ier fait transformer Vienne en une ville impériale : les anciens murs de la ville sont supprimés, un boulevard magnifique doit entourer le centre de Vienne, la Ringstrasse voit le jour.
Outre les bâtiments publics importants comme l’opéra, le parlement, l’université et les musées, des monuments représentatifs doivent être trouvés.
Les monuments de la Heldenplatz, devant le Palais Impérial de la Hofburg, aux deux principaux chefs militaires de la dynastie des Habsbourg, le prince Eugène de Savoie et l’archiduc Charles, celui étant le premier à avoir gagné une bataille contre Napoléon (!), avaient déjà été dévoilés en 1860 et 1865. La place entre le Musée d’histoire naturelle et le Musée des Beaux-Arts, tous deux encore en construction, est libre ; elle devait former avec la Heldenplatz un forum impérial, ces plans n’ont pas été réalisés par la suite.
Quoi qu’il en soit, cette place libre entre les musées doit être dédiée à un personnage qui souligne l’importance et la grandeur de l’Empire, de l’Autriche-Hongrie et de la Maison de Habsbourg-Lorraine. En plus faut-il trouver quelqu’un occupant une place reconnue dans le cœur du peuple, en particulier des Viennois.
François-Joseph ne doit pas réfléchir longtemps. Marie-Thérèse, la mère historique du pays, aura ici un monument. Une note en marge pour ceux qui s’intéressent aux questions de parenté : Marie-Thérèse est la grand-mère de l’empereur François II/I, lui-même grand-père de François Joseph Ier, elle est donc l’arrière-arrière-grand-mère de ce dernier. Caspar von Zumbusch réalise en plus de 10 ans (de 1874 à 1887) le plus grand monument à un membre de la famille Habsbourg. Il est solennellement dévoilé le jour de l’anniversaire de Marie-Thérèse, le 13 mai 1888, avant même l’ouverture des deux musées à gauche et à droite du monument.
Contexte historique
Les temps étaient particulièrement difficiles pour le jeune empereur François-Joseph dans les premières années et encore dans le premier tiers de son règne.
Son grand-père François, en tant que François II dernier empereur du Saint Empire romain germanique – qui au fil des siècles a perdu son importance politique – avait fondé en 1804 l' »Empire d’Autriche », une monarchie héréditaire de la maison Habsbourg-Lorraine. En tant que François Ier, premier empereur d’Autriche, il pouvait faire face d’égal à égal à Napoléon, qui s’était élevé au rang d’empereur des Français et qui allait peut-être jeter lui-même un œil sur la couronne du Saint-Empire romain.
couronne de l’Empire d’Autriche
L’Empire d’Autriche était certes consolidé après le Congrès de Vienne en 1815. Mais les sujets de la couronne n’ont pas hésité à revendiquer plus de libertés civiles ce qui aboutit à la Révolution en 1848; en même temps, la monarchie multiethnique de l’Empire d’Autriche subit des tendances nationales renforcées. Les forces insurgées, particulièrement actives en Hongrie, ne purent être mises en échec que par un engagement militaire massif.
L’empereur François-Joseph, qui depuis 1848 régnait de manière absolutiste, dut par la suite essuyer des revers, surtout en politique étrangère. En Italie, d’abord la Lombardie, puis la Vénétie doivent être abandonnées, et la guerre perdue contre la Prusse en 1866 fut particulièrement douloureuse, menant directement à l’unification nationale de l’Allemagne sans l’Autriche. Les revendications de la Hongrie pour des droits plus étendus aboutirent en 1867 au dit » Ausgleich » (compromis), une péréquation politique entre les pays de l’Empire et la Hongrie, l’Empire d’Autriche devenant la double monarchie austro-hongroise.
En 1873, lors de l’exposition universelle qui venait d’ouvrir ses portes à Vienne, le krach boursier avec l’effondrement du marché des actions viennois secoua la double monarchie. La figure lumineuse de Marie-Thérèse devait contribuer à renforcer l’image de l’empereur, fortement entamée par ces événements.
Le monument
Caspar von Zumbusch, sculpteur, assisté de son élève Anton Brenek, Carl von Hasenauer, architecte du monument, et le directeur des archives de la maison, de la cour et de l’État (Haus-, Hof- und Staatsarchiv), Alfred von Arneth, n’ont pas lésiné sur les superlatifs pour la conception et l’érection du monument.
Ce n’est pas seulement un monument à Marie-Thérèse, mais aussi un monument aux généraux, hommes d’État, conseillers, artistes et scientifiques de son époque. Les figures symbolisent les piliers du règne de Marie-Thérèse.
Le plus grand monument des Habsbourg pèse 44 tonnes, la statue assise de Marie-Thérèse à elle seule encore plus de 11 tonnes. La hauteur du monument est légèrement inférieure à 20 mètres, de sorte que Marie-Thérèse pourrait aisément voir les étages supérieurs des deux musées à ses côtés si elle tournait la tête. Mais il va de soi qu’elle regarde droit devant elle, en direction du Palais Impérial de la Hofburg, le centre du pouvoir de l’époque, et qu’elle tourne le dos aux écuries impériales, aujourd’hui le MuseumsQuartier.
La surface totale du monument, y compris le socle, s’étend sur plus de 600 m2, ce qui réduirait considérablement la taille de n’importe quel jardin.
À l’époque, les artistes, surtout les sculpteurs, ambitionnaient d’utiliser des matériaux provenant du plus grand nombre possible de régions de l’Empire :
Le fond du monument, avec des supports de chaînes, est un plateau en granit provenant d’Enghagen, en Haute-Autriche. Le palier suivant, composé de trois marches ondulées, avec le palier d’ensuite et son socle, a été réalisé en magnifique granit brun d’hornblende, venant de Pilsen en Bohème, et séduit par sa teinte chaude et sa surface lisse et brillante. Pour les huit colonnes entourant le socle colossal à quatre côtés, on a utilisé une serpentinite provenant des environs de Sterzing dans le Tyrol du Sud.
Toutes les figures sont des sculptures en bronze, y compris celle de Marie-Thérèse, trônant hautement au-dessus des souteneurs de son empire.
Devant les quatre champs arqués du socle quadrilatéral se tient dégagé respectivement un représentant d’un domaine important à l’époque, légèrement en avant du relief situé dans l’arc. Ce relief se consacre au thème de la personne représentée devant lui et reproduit d’autres représentants importants de ce domaine. Ces quatre thèmes sont
- sciences et arts avec la statue de Gerard van Swieten, qui regarde vers le Musée d’histoire naturelle
- politique et délibération avec la statue de Wenzel Anton Dominik comte Kaunitz, qui regarde en direction de la Hofburg
- administration et justice avec la statue de Friedrich Wilhelm comte Haugwitz, qui regarde en direction du Musée des Beaux-Arts
- domaine militaire avec la statue de Joseph Wenzel, prince de Liechtenstein, qui regarde en direction des écuries impériales
Les reliefs montrent dans l’ordre cité et à l’arrière-plan
- l’ancienne université ainsi que le numismate Eckhel, l’historien Pray, les compositeurs Gluck, Haydn et Mozart (en tant que garçon)
- la Gloriette à Schönbrunn ainsi que le diplomate Bartenstein, le ministre des Finances Starhemberg et le diplomate Mercy-Argenteau
- une salle de délibération au Palais Impérial de la Hofburg ainsi que le président de la chambre impériale hongroise Grassalkovich, le gouverneur de Transylvanie Brukenthal, les juristes Riegger, Sonnenfels et Martini
- l’Académie militaire Thérésienne ainsi que le Bán de Croatie Nádasdy et les généraux Hadik et Lacy
Les commandants aux quatre coins sont, en commençant à la droite de la statue du comte Wenzel Anton Kaunitz et en continuant dans le sens des aiguilles d’une montre, le baron Gideon Ernst von Laudon (orthographe identique à celle du monument), le comte Leopold Daun, le comte Ludwig Andreas Khevenhüller et le comte Otto Ferdinand Abensberg-Traun.
Au total, ce ne sont pas moins de 25 personnes, y compris Marie-Thérèse, qui sont représentées sur le monument !
Marie-Thérèse est assise sur son trône de 6 mètres de haut, autour duquel quatre figures féminines représentent les vertus de sagesse (au-dessus de Laudon), de force (au-dessus de Daun), de clémence (au-dessus de Khevenhüller) et de justice (au-dessus de Traun). Marie-Thérèse tient dans le creux de son bras gauche un sceptre et dans sa main gauche la Sanction Pragmatique qui lui permet de succéder au trône dans les pays habsbourgeois.
Souvent nommée impératrice en Autriche – elle n’avait d’ailleurs rien à redire à cette appellation – seul son époux François-Étienne de Lorraine était empereur du Saint Empire romain germanique depuis 1745, Marie-Thérèse n’a jamais été couronnée impératrice.
Le titre d’impératrice n’était cependant pas erroné, puisque Marie-Thérèse dirigeait seule la majeure partie des affaires gouvernementales de la monarchie des Habsbourg, tandis que son époux, l’empereur François Ier Étienne, s’occupait avec beaucoup de succès des finances de la maison de Habsbourg-Lorraine. Toujours est-il que les créateurs de ce monument historique ont décidé de ne pas orner de couronne la tête de Marie-Thérèse. On aurait pu envisager le chapeau de duc en tant qu’archiduchesse d’Autriche, la couronne hongroise en tant que « roi » de Hongrie ou la couronne tchèque en tant que reine de Bohême. Le diadème neutre s’est avéré la solution balancée afin de ne brusquer aucune ethnie dans l’empire.
Ce qui reste
En Autriche surtout, le fait que Marie-Thérèse ait donné naissance à 16 enfants est resté dans les mémoires et a remonté sa popularité. Six de ses enfants sont décédés de son vivant. En s’efforçant de marier ses enfants le mieux possible et d’étendre ainsi la sphère d’influence de sa dynastie, elle est restée fidèle à la tradition de la politique matrimoniale des Habsbourg. La devise « Bella gerant alii, tu felix Austria nube » – que les autres fassent la guerre, toi, heureuse Autriche, marie-toi – est entrée dans l’histoire, et pas seulement de l’Autriche. Le mariage qu’elle avait arrangé entre sa fille cadette Marie-Antoinette (Maria Antonia), et le futur roi de France Louis XVI s’est toutefois terminé tragiquement, en 1793, sous la guillotine. Marie-Thérèse n’a cependant pas eu à vivre cela.
Malgré cette abondance d’enfants – Marie-Thérèse a été enceinte pendant pratiquement 20 ans – Marie-Thérèse d’Autriche était certainement la régente la plus marquante de son époque et la première représentante de l’absolutisme éclairé. L’Autriche la connaît sous le nom d’« impératrice » Marie-Thérèse, même si son époux François Ier Étienne de Lorraine était l’empereur du Saint Empire romain germanique. Elle avait conscience de son pouvoir et remplissait assidûment et fermement sa position de chef dynastique des Habsbourg, à partir d’elle des Habsbourg-Lorraine. Contrairement à l’icône de style « Sisi », peu intéressée par les affaires de l’État, Marie-Thérèse a effectivement et avec quelque succès gouverné, et cela pendant 40 ans (1740-1780).
Elle a entamé de nombreuses réformes qui déploient leurs effets jusqu’à nous jours. Marie-Thérèse s’est consacrée au renouvellement de l’armée, de la justice, à l’introduction du cadastre, aux débuts de la libération des paysans. C’est ainsi qu’avec la Constitutio Criminalis Theresiana, tous les pays des Habsbourg, à l’exception de la Hongrie, se sont dotés pour la première fois d’un droit pénal uniforme, toutefois ancré dans la tradition de l’époque.
La réforme la plus connue est sans aucun doute l’introduction de la scolarité obligatoire pour les enfants de six à 12 ans, introduite par le » Règlement scolaire général pour les écoles allemandes normales, principales et triviales dans l’ensemble des pays héréditaires du royaume « . D’ailleurs, à l’époque, cette obligation concernait également les filles et non seulement les garçons.
Le château de Schönbrunn, dans toute sa splendeur actuelle, est intrinsèquement lié à son nom.
Le thaler de Marie-Thérèse a été frappé pour la première fois en 1741 comme pièce d’argent et a eu cours légal dans l’Empire d’Autriche jusqu’en 1858. Il a été reconnu comme moyen de paiement dans certaines régions d’Afrique et d’Asie jusqu’au 20e siècle. Il représente Marie-Thérèse en buste et est aujourd’hui un objet de collection très apprécié.
La chanson viennoise « Das Reserl von Wien » – Reserl est l’abréviation de Maria Theresia – est un éloge pour Marie-Thérèse en tant qu’impératrice et mère de 16 enfants.